L'année 2023 a été plus que chahutée pour tous les emprunteurs, avec des derniers mois laissant entrevoir une année à venir plus favorable ? Avec Cécile Roquelaure, directrice des études d'Empruntis, sortons la boule de cristal et levons un pan du rideau sur 2024... Interview.
Donnons un coup d’œil dans le rétro : quel regard porter sur l’année qui s’achève, du côté du crédit immobilier ?
Pour juger 2023, il est important de le replacer dans son contexte en évoquant 2022. Car c’est ici que tout commence. En quelques semaines, les banques voient le prix de l’argent s’envoler et souhaitent, comme tout commerçant qui voit le prix de ses matières premières flamber, augmenter le prix du crédit immobilier.
Malheureusement le taux d’usure, censé protéger les emprunteurs, les empêche de répercuter cette hausse au même rythme. Après 6 mois de mise sous pression, les banques qui perdent de l’argent ou en gagnent peu décident de prêter moins, voire d’arrêter complètement. Cette situation se dégrade très fortement sur le dernier trimestre 2022.
C’est dans ce contexte que démarre l’année 2023 : des taux, toujours en hausse, qui mettent sous pression le pouvoir d’achat des ménages (certains n’ont même plus les moyens d’acheter le bien dont ils ont besoin), et des marges trop faibles pour les banques qui restreignent l’accès au crédit pour les emprunteurs encore solvables.
Après plusieurs mois d’une situation inextricable, début 2023, le gouverneur de la Banque de France décide (enfin) d’agir. Il modifie la fréquence d’actualisation du taux d’usure. Au lieu d’une mise à jour trimestrielle, il sera actualisé chaque mois. Cette mesure permet aux banques d’ajuster leurs taux tous les mois et de rattraper le coût de l’argent par paliers.
Ce n’est pas une recette miracle : la mesure mettra 8 mois à porter ses fruits, avec une situation de blocage entre mai/juin 2022 et janvier 2023. A partir de septembre 2023, les banques retrouvent un équilibre, qui reste fragile.
L’année 2023 semble mieux finir qu’elle n’a commencé pour les emprunteurs ?
Clairement, nous notons une nette amélioration ! La reconstitution des marges, à partir du mois de septembre, permet aux banques qui avaient cessé de prêter de revenir sur le marché, et à celles qui avaient limité l’accès au crédit de le rouvrir. Le dernier trimestre offre plus de solutions de financement.
Mécaniquement, on passe alors à une phase de stabilisation des taux : il y a plus d’acteurs, donc la vigilance entre concurrents est plus forte sur la stratégie de prix. Vous augmentez moins vos prix quand vous n’êtes pas seuls…
Cette stabilisation a été facilitée par une évolution plus mesurée de l’OAT 10 ans (le fameux coût de l’argent pour les banques). Au mois de décembre, nous aurons même autant de barèmes de banques à la hausse, que stables ou en baisse. Le signe que l’atterrissage est là.
Ces derniers jours, nous constatons même une baisse significative du coût de l’argent, un très bon signe pour les emprunteurs, si toutefois cela perdure.
Sortons la boule de cristal : les conditions seront-elles favorables aux emprunteurs au 1er trimestre 2024 ?
Bien que cela soit toujours un exercice délicat car beaucoup de critères macro-économiques entrent en ligne de compte, on ne peut pas trop se tromper en disant que 2024 sera bien plus favorable aux emprunteurs. Tout d’abord, comparée à 2023, cette nouvelle année peut difficilement être plus complexe.
De plus, (presque) tous les signaux sont au vert ! D’abord du côté des taux : le coût de l’argent, plus raisonnable, permettra aux banques de les stabiliser avant d’envisager une baisse.
Pour le moment, quelques acteurs se repositionnent ou reviennent sur le marché, mais nous ne constatons pas de baisse généralisée. Celle-ci pourrait intervenir après le 1er trimestre, voire à la fin du semestre si le contexte reste identique.
Cependant même non généralisée, la baisse offre des opportunités, car les banques n’ont pas toutes les mêmes politiques commerciales. Si la banque A était la seule à prendre votre dossier et que c’est elle qui applique des baisses, vous êtes gagnant !
Il semble cependant délicat d’imaginer un retour à une situation antérieure. Perdre 100 points de base serait déjà formidable, mais les taux resteraient 250 points de base plus haut qu’en janvier 2022.
Autre élément qui change la donne : aujourd’hui, les banques sont toutes volontaires pour prêter ! Certaines sont même déjà inquiètes par un démarrage d’année difficile (rappelons que les dossiers d’emprunteurs initiés sur les 3 derniers mois de 2023 contribuent aux objectifs des banques pour 2024). On peut donc compter sur elles pour être très conquérantes.
Seule ombre au tableau côté crédit immobilier : les exigences du HCSF (Haut conseil de stabilité financière) persistent. Elles sont contraignantes pour un certain nombre de catégories d’emprunteurs et les derniers ajustements pris lors de la séance du 4 décembre (intérêts du prêt relais sortis du taux d’endettement, dérogations assouplies), ne suffiront pas à libérer les contraintes imposées aux banques.
Cela reste un nœud pour de nombreuses catégories d’emprunteurs, pour lesquelles les banques n’ont absolument aucune volonté d’arrêter de prêter : les investisseurs ou encore les ménages ayant un reste à vivre important mais des taux d’endettement supérieurs à la norme…
Faisons un vœu : que souhaiter pour faciliter les projets des emprunteurs en 2024 ?
Il faut redonner le pouvoir de prêter aux banques. Le HCSF est une entrave d’un autre temps, certes pas si lointain (avant 2022), mais qui n’existe plus. Il est essentiel de laisser les banques faire leur métier.
On a souvent entendu qu’elles étaient trop frileuses et ne prêtaient pas assez, alors pourquoi les contraindre ? Le marché de l’immobilier est en souffrance : manque de construction, exigences de rénovation énergétique, modifications des dispositifs d’aide et des cadres fiscaux… Tout bouge, mais pas dans le sens d’un soutien à la propriété, ou à défaut, au logement. Il est important qu’au moins le crédit immobilier ne soit pas une entrave.
Il faut également souhaiter que le gouvernement prenne la mesure des aides nécessaires pour que les Français se logent, afin de faciliter la transition entre la période de taux très bas et le monde d’aujourd’hui. La fin du PTZ pour la maison individuelle, le recentrage du neuf en zones tendues sont des évolutions que l’on peut comprendre, mais qui ne devraient pas être mises en œuvre en pleine crise, car le logement est un bien de première nécessité et l’achat immobilier constitue une des solutions.
Rappelons tout de même que concernant le crédit, la crise est derrière nous : aujourd’hui, les ménages peuvent y accéder !
Prenons une bonne résolution : quels conseils pour tous ceux qui ont un projet l’an prochain ?
Pour accéder au crédit dans cet environnement un peu chahuté, il est vraiment primordial de se préparer ! Nous l’avons beaucoup répété cette année. Obtenir votre financement, c’est rassurer un banquier sur votre capacité à être un bon client (qui paye sa dette) pendant les 20 prochaines années.
Pour cela, il faut montrer des qualités de bon gestionnaire, bien préparer son projet et l’envisager en cohérence avec son budget. Souvent, les prix de l’immobilier sont une embûche sur la route des acquéreurs, car les taux bas que nous avions connus soutenaient leur pouvoir d’achat.
Aujourd’hui ce n’est plus le cas et il est parfois nécessaire de faire des compromis (localisation, surface du bien…). Chaque dossier est spécifique. Pour se donner toutes les chances de réussir, prendre conseil auprès d’un courtier pour bien préparer son dossier et ensuite le « vendre » à un banquier est plus que jamais utile !
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